la Honda Africa Twin dans la boue
Trois niveaux de contrôle de traction, ABS déconnectable, DCT : utile, ou pas ?
Un test grandeur nature au Honda Adventure Centre au Pays de Galles
Véritable succès commercial, la Honda CRF 1000L Africa Twin s'est déjà vendue à plus de 9000 exemplaires en Europe en quelques mois à peine de commercialisation. Elle arrive dans un créneau bien encombré, puisque tout le monde ou presque vogue sur la mode des trails et que même Ducati produit une improbable, bien que réussie, version Enduro de sa Multistrada, ce qui n'est pas sans poser une vraie question : faut-il 160 chevaux pour aller bucheronner dans les chemins ?
Nonobstant ce pur débat philosophique qui trouvera forcément des adeptes dans les deux camps, force est de constater que Honda, fidèle à sa philosophie du "total control" initié par la CBR 900 et son concepteur, Tadao Baba, en 1992, n'a pas souhaité entrer dans la course à la puissance.
La preuve : son nouveau moteur, un bicylindre en ligne de 998 cm3, ne sort "que" 95 chevaux, une puissance assez éloignée des 125 chevaux de celle qui était jusque là la reine de la catégorie, la BMW R 1200 GS. Et ne parlons donc pas de l'hyperpuissance de la Multistrada Enduro ni de la BMW S1000XR.
La philosophie de l'Africa Twin est différente : le pragmatisme l'emporte sur la surenchère. Cette Africa Twin a déjà été essayée en détail sur le Repaire par mon collègue le mirifique Damien lors d'un roulage intensif en Afrique du Sud où elle a pu faire étalage de ses qualités. Ce qui suit constitue donc un complément d'essai : puisque l'Africa Twin prétend être un vrai trail, nous l'avons mise à l'épreuve dans les forêts grasses et boueuses du Pays de Galles, sur les 200 hectares de chemins du Honda Adventure Centre et avec un quadruple champion du monde de Motocross, Dave Thorpe, comme instructeur. De quoi cerner au mieux les capacités de la machine dans un environnement différent et plus proche des conditions que l'on rencontre de par chez nous. Pour l'occasion, l'Africa Twin est équipée d'un train de Metzeler Karoo 3, appropriés pour cet usage.
Prise en main et maniabilité
Elle est plutôt fine et haute, l'Africa Twin, avec ses 2.33 m de long et 1,47 m de haut. Elle peut intimider, avec ses 232 kilos (tous pleins faits), une valeur qui monte carrément à 242 kilos avec la boîte DCT à double embrayage. La hauteur de selle, qui peut se régler à 850 ou 870 mm, écarte de faits les moins grands de nos concitoyens. Disons qu'en dessous d'1,70 m de haut, le pilote se sentira un peu haut perché. Néanmoins, la moto reste fine au niveau du réservoir, le guidon est bien dessiné et les généreux repose-pieds crantés promettent d'être d'un certain secours une fois que l'on va entrer dans le gras.
Les premiers exercices de ce stage d'initiation à la conduite d'un gros trail en tout-terrain sur terrain gras permettent d'affiner la prise en main : en première ou en deuxième, en position debout, l'idée est d'influer sur les repose-pieds, histoire de comprendre comment garder du pouvoir directionnel quand l'avant commence à se dérober. Dans ces conditions, ce qui ressort en premier, c'est l'excellent équilibre de la machine et son auto-stabilité, même à très basse vitesse, lorsqu'il s'agit de tourner serré entre des cônes tout en sentant l'avant glisser un peu dans une flaque boueuse. L'équilibre de la machine fait alors, de toute évidence, partie de ses qualités, allant de pair avec la douceur, la réactivité et la progressivité des commandes pour gérer une avancée au millimètre sans perdre l'équilibre.
L'électronique mise à l'épreuve
Avant de nous laisser affronter les chemins, les instructeurs nous font faire un autre exercice : un départ dynamique en testant la réactivité de chacun des 3 niveaux du contrôle de traction, puis un dernier, avec celui-ci totalement désactivé (il suffit d'une pression de l'index gauche derrière le commodo). Cet exercice permet de constater que l'électronique a donc cette capacité à vous aider : les niveaux de patinage sont très différenciés, avec un seuil d'intervention de l'électronique sensible d'un niveau à l'autre. De deux choses l'une : en fonction de ce que vous recherchez, de la motricité ou de la sécurité, l'électronique est suffisamment bien calibrée pour vous permettre d'éviter la dérive brutale de l'arrière, de celle qui va vous précipiter dans le fossé, ou au contraire, de pouvoir changer de direction rapidement sur un coup de gaz. Au guidon, on réalise alors que selon la situation voulue, la moto est littéralement à votre service et que l'efficacité de ces aides mécaniques est assez bluffante.
Une fois lancés dans la forêt, l'Africa Twin se laisse mener tranquillement et, sans bien entendu adopter une attitude de véritable crossman, dévoile deux autres points essentiels de sa personnalité : la souplesse, la douceur, le couple et la bonne capacité de traction de son bicylindre en ligne, ainsi que la bonne tenue de ses suspensions. La fourche comme l'amortisseur arrière absorbent bien les trous et les bosses sans talonner, ni être trop lâches en détente.
Chemin faisant, les difficultés arrivent. Ce serait trop facile, sinon. Et me reviennent en mémoire des images de rallyes WRC au Pays de Galles, avec cette boue glaiseuse bien sombre et qui colle bien aux pneus. Furtivement, le doute m'habite et son ombre glaciale se met à planer sur cette forêt galloise, parsemée de fougères. Il est loin, l'hôpital le plus proche ?
"Descendez votre niveau de contrôle de traction !", nous disent nos instructeurs. "C'est à vous de voir en fonction de votre sensibilité, mais mettez-le sur 2 ou 1". Il est évident que le 3 nous laisserait sur place avec l'allumage en micro-coupures permanentes, je préfère donc me la jouer ceinture et bretelles pour attaquer cette grimpette bien grasse, qui fait suite à un virage serré, en bas de la côte, que l'on prend dans une flaque de boue : c'est assez contrariant pour prendre de l'élan. J'arrive, je gère les pertes d'adhérence, je vise le haut de la côte et gaz ! L'Africa Twin commence à monter, le Metzeler Karoo 3 accroche, trouve de l'adhérence sur les quelques rares cailloux. Au milieu de la côte, hélas, les coupures d'allumage se font plus présentes et la moto peine à avancer. C'en est trop : malgré le DCT, elle cale ! Je baisse alors le niveau de contrôle de traction sur 1. Gaz en grand, l'Africa Twin repart alors, reprend de la vitesse, la roue arrière se dérobe mais je garde la cap au guidon et apparaît alors le haut de la côte... Victoire ? Non, disons plutôt une belle démonstration de comment l'électronique peut-être à vos côtés ; à condition de bien choisir le bon mode en amont, car changer de setting en roulant n'est pas possible.
Deux autres boutons au tableau de bord, dans le renfort droit du carénage, permettent également d'affiner encore les réglages de la moto. Le premier, c'est l'ABS : en pressant sur le bouton, l'arrière se désactive, ce qui permet d'initier un virage par un léger dérapage tandis que de conserver ce système sur le train avant donne la quasi certitude de ne jamais se répandre au freinage, ce qui constitue un sentiment carrément sécurisant. Même dans des descentes abruptes et, faut-il le préciser encore une fois, recouverte d'une boue peu appétissante, j'ai trouvé finalement assez facile à doser le freinage : deux doigts sur le levier en tenant fermement le guidon, une petite pression sur la pédale pour amorcer un début de virage avec un minimum de dérive, la conjonction entre une électronique bien ciblée et des pneus performants ne cesse d'étonner par la facilité avec laquelle on emmène cette moto, d'un gabarit certain, dans des sections difficiles. Ce qui est sûr, c'est qu'une faible partie des utilisateurs "bitumeux" de l'Africa Twin doivent être conscients que leur machine soit capable de telles prouesses.
Ensuite, il y a le bouton "G", à sa droite, qui désactive l'embrayage anti-dribble de la version DCT, pour une réponse plus réactive à l'accélérateur. Honnêtement, le fonctionnement de ce mode ne m'a pas paru d'une perception limpide lors de mes évolutions dans le gras tellement la réponse du vertical twin, avec ou sans le DCT, est d'une grande précision et d'une grande douceur.
La question à 1000 francs : DCT ou manuelle ?
À l'issue d'une journée d'essai où nos instructeurs nous ont fait systématiquement rouler avec les deux versions, mon opinion sur la question est claire et sans appel. Pourtant, certains des essayeurs présents ne juraient que sur la version avec embrayage : "tu comprends, pour sortir rapidement d'une difficulté, un petit coup d'embrayage et hop !" Alors oui, probablement que les spécialistes du TT et les pilotes aguerris se sentiront capable de faire plus de figures avec la version qui dispose d'un câble sur le commodo gauche.
Mais pour les autres, les débutants, les pratiquants occasionnels, ou tout simplement ceux qui cherchent une plus grande tranquillité d'esprit, le DCT s'impose sans hésitation aucune. Ses avantages sont en effet multiples : petit un, on se contente de mettre du gaz sans avoir à gérer l'embrayage, ce qui permet à la main gauche de mieux tenir le guidon. Petit deux, les 4 modes de transmission (Drive, S1, S2, S3) permettent de choisir le niveau de réactivité mécanique souhaité qui, de plus et c'est le petit trois, peut évoluer d'un rapide coup de palette au guidon pour changer de rapport, pour qui souhaite à l'instant T plus de frein moteur ou plus de patate pour attaquer une grimpette. D'autant que et c'est notre petit quatre, qu'un mode manuel permet de bloquer la boîte sur un rapport donné, ce qui donne le même niveau de frein moteur que la boîte manuelle. Et tout ceci dans la plus grande simplicité et facilité ce qui n'ôte rien, bien au contraire, au plaisir que l'on prend à arpenter les sous-bois et à se jeter dans des flaques de boue.
Conclusion
Là où certaines de ses concurrentes se donnent pour objectif d'être des voyageuses express (voire supersoniques, à l'instar de la Ducati Multistrada Enduro qui peut permettre à son pilote de prendre quasiment 250 km/h compteur avec des valises et un casque cross), la Honda Africa Twin n'a d'autre objectif que d'être un véritable trail. C'est à dire une machine équilibrée, facile, cohérente, à laquelle son pilote va devenir de plus en plus attaché lorsqu'il va prendre conscience, voyage après voyage, de sa véritable polyvalence.
Certes, probablement peu de propriétaires d'Africa Twin iront la mettre à l'épreuve à ce point sur ce type de terrain de jeu gras et boueux. Mais s'il est déjà étonnant de réaliser que, correctement chaussé, un trail peut s'affranchir de réelles difficultés, ce constat est alors renforcé par la finesse des aides électroniques. Le choix d'une transmission manuelle ou automatique est un plus pour coller au mieux à la personnalité et aux attentes de l'acheteur, mais chez Honda, on croît (à raison) dans le développement du DCT. Alors que les prévisions tournaient autour des 40 %, le DCT équipe un peu plus de 50 % des Africa Twin européennes et il faut s'attendre à voir ce type de transmission arriver prochainement sur d'autres familles de motos.
Dernier bon point : l'efficacité des pare-carters et protections de carénage : sur ces machines appartenant à l'école de conduite TT du Honda Adventure Centre et appelées à chuter régulièrement, on constate peu de traces de vieillissement prématuré ! De quoi aller jouer dans les bois, l'esprit libre !
Points forts
Points faibles
Conditions d’essais
source article: http://www.lerepairedesmotards.com/essais/motos/honda-crf1000l-africa-twin.php
- Équilibre du châssis
- Excellentes suspensions
- Moteur souple, docile, coupleux
- Finesse du contrôle de traction
- Apport réel du DCT même en TT
- Protections solides
Points faibles
- Impossibilité de changer le niveau de contrôle de traction en roulant
- C'est plus compliqué pour les courts sur patte
Conditions d’essais
- Itinéraire: une journée entière d'essais au Honda Adventure Centre du Pays de Galles avec un quadruple champion du monde de motocross, Dave Thorpe, comme instructeur.
- Kilométrage de la moto : 2000 km
- Problème rencontré : normalement la boue, c'est bon pour la peau, mais j'ai même pas chuté une seule fois...
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